26 novembre 2007
L'Eternel Revenu
Je ne me souviens pas exactement de quand il est arrivé dans l’immeuble. Pour la première fois. Sa silhouette est en tout cas vite devenue familière, avec sa couronne de cheveux délimitant un crâne passablement dégarni, sa barbe, son dos voûté et sa petite taille, il avait tout d’un nain de blanche-neige, du huitième nain. Il habitait au rez-de-chaussée, un de ces tout petits studios qui jouxtent l’ascenseur.
Je n’avais pas prêté particulièrement attention à lui au début, ses yeux rieurs me plaisaient bien, mais nos échanges s’arrêtaient à des bonjour-bonsoir auxquels il ne répondait pas nécessairement. Et puis, j’ai commencé à le voir dans un café du quartier. Il faisait beau, il était en terrasse, rien d’exceptionnel. Plus tard, je le vis dans un des autres cafés du quartier, toujours en terrasse. Très vite, je me suis rendu compte que cette fréquentation n’avait rien d’inhabituel et qu’il changeait de troquet en fonction du moment de la journée : le matin orienté vers le levant, l’après midi vers le ponant. Un vrai tournesol en quelque sorte.
J’ai fait un peu plus attention à lui, remarquant que ses sacs de courses contenaient plus de liquides que de solides. Il ne paraissait pas trop tituber pourtant, mais il est vrai que je ne le surveillais pas non plus. Il gardait généralement son sourire et ses yeux rieurs, peut-être que je les trouvais juste un peu plus vitreux qu’avant.
Un jour, ce fut un mini scandale dans l’immeuble : un satyre se baladait à poil dans les étages. Ce genre de nouvelles circule avec une rapidité incroyable et j’ai l’impression que j’en avais entendu l’écho avant même de sortir de chez moi. Personne n’avait été physiquement agressé, mais tout l’immeuble était en émoi. Au départ, je pensais qu’il s’agissait de quelqu’un d’extérieur. En fait, il s’agissait bien de ce huitième nain qui plus que de Grimm semblait sorti de chez Gotlib. Ce dernier vivait seul, mais devait prendre un traitement. Il avait cessé de le suivre et avait disjoncté en perdant tout contrôle de lui-même. A priori il n’était pas dangereux pour les autres, mais il n’est pas forcément agréable de rentrer chez soi avec ses enfants et de tomber sur un nain ,fut-il de Blanche-Neige, nu.
Ce doit être à ce moment-là qu’il fut éloigné pour la première fois. Je n’y avais pas pris garde à l’époque, mais il avait été évacué vers un hôpital pour être pris en charge. Je ne m’en étais pas rendu compte car il était revenu dans son petit studio, reprenant ses habitudes, sans toutefois poursuivre ses exhibitions. Je ne le voyais pas souvent, mais je savais qu’il était là en voyant le Gardien vider une bombe de déodorant dans le hall en insistant sur sa porte. Amusé, j’avais demandé ce qu’il faisait. Lui ne riait pas vraiment et semblait énervé. Moi je ne faisais que passer par le hall, une petite discussion, l’attente de l’ascenseur, rien qui m’y maintenait longtemps ; lui, sa porte s’ouvrait sur ce hall et il était envahi par les effluves nauséabonds. C’était vrai, ça renardait sévère. Le Gardien enrageait qu’on ait laissé sortir ce voisin de palier odorant.
Un matin, l’immeuble était à nouveau en émoi. Ce coup-ci, notre homme avait foutu le feu chez lui, après avoir fait tomber sa cigarette sur son matelas. Le feu n’avait pas été bien méchant, rapidement maîtrisé, et le pyromane avait été évacué à nouveau vers l’hôpital. Le gardien se voyait débarrassé, avait demandé que les serrures soient changées pour éviter qu’il revienne. Il pestait après ce type qui bénéficiait d’une aide sociale importante, supérieure à ce qu’il touchait lui qui travaillait réellement beaucoup dans l’immeuble. Il me détaillait les alcools ingurgités en me précisant que ce n’était pas avec du bas de gamme que l’animal se saoulait à longueur de temps.
Puis il est revenu à nouveau. Le store de sa pièce donnant sur le parking était de nouveau relevé et quand je descendais sur le parking faire faire du vélo à mes enfants, je le voyais à sa fenêtre, fumer et boire , puis repartir à l’intérieur, s’asseoir à sa table pour boire à nouveau, avant de revenir se mettre à la fenêtre pour boire encore. Tout en gardant ses yeux rieurs, il buvait et ne paraissait rien voir de ce qui se passait devant lui. Mes bonjours restaient sans réponse, les passages des enfants devant sa fenêtre ne le conduisaient pas à les suivre des yeux. Il ne voyait rien d’autre que son verre.
Un matin, en sortant de l’ascenseur, les pompiers étaient là, avec une voisine et le gardien. Sa porte était ouverte, il était allongé sur son lit, cigarette à la main. Le sol toujours jonché de cadavres et d’excréments. Il avait encore mis le feu en oubliant sa plaque électrique qui chauffait. Il ne se rendait compte de rien et allait être évacué une nouvelle fois vers l’hôpital. À ce jour, il n’est pas encore revenu, mais je ne serais pas surpris de le revoir à nouveau traîner à sa fenêtre à boire et fumer. Quand il était allongé, je voyais ses yeux rire. Il était dans un autre monde, un monde qui ne paraissait pas si désagréable. Sa vie vue par nous semble glauque, mais de son point de vue, comment est-elle ? Et comment est la nôtre ?
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