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Ici, c'est chez moi
18 novembre 2007

Antoine

Antoine ne s’appelait pas vraiment Antoine. Ou peut-être que si après tout puisque je n’ai jamais connu son nom. Toujours est-il que ce prénom lui va bien, en référence au chanteur. Antoine n’habitait même pas dans mon immeuble, il y travaillait seulement. Il y a des entreprises, des services, de nombreux médecins dans mon immeuble, pas que des résidents. Avec Antoine, on se croisait surtout dans le parking en sous-sol. Il avait de ces yeux rieurs, toujours pétillants, et savait prendre le temps de discuter un peu dans le hall, devant les ascenseurs, devant la voiture. Au début, nous ne nous échangions que des bonjours de convenance, mais très vite ces petits signes de convivialité devinrent plus chaleureux, moins formels. Il faut dire, que c’était quelqu’un de très peu formel et que cette évolution fut très naturelle. Il garait sa vieille Peugeot blanche et, arrivant généralement en retard, il filait vers l’ascenseur, sans pour autant renoncer à prendre le temps pour parler un peu, pour plaisanter avec la gardienne. J’aimais bien quand ma journée démarrait en croisant sa moustache. Il travaillait dans une société qui tenait des fichiers, des fichiers en tout genre qui étaient revendus à des sociétés qui exploitaient ces fichiers. Ce n’était pas son travail qui le motivait réellement. Il ne s’en désintéressait pas, mais sa vie n’était pas là et c’est sans doute ce que j’appréciais chez lui, ce sentiment de croiser quelqu’un qui aimait profiter des plaisirs qu’offre la vie. C’est donc sans regret qu’il a vu sa boîte, entreprise familiale au départ, rachetée par un groupe d’investisseurs anglo-saxons. Il a pu en profiter pour se faire licencier. Un licenciement n’est pas toujours perçu de façon positive, mais pour Antoine, c’était négocié. Il allait pouvoir se consacrer à ce qui l’intéressait vraiment. Il pouvait attendre sa retraite officielle avec ses indemnités de licenciement et partir voyager. Voyager, en Amérique latine, c’était là sa vraie vie, pas dans les fichiers qu’il créait pour qu’on reçoive dans nos boîtes des publicités ciblées ou pour tout autre usage. C’était avec gourmandise qu’il m’avait annoncé la fin de sa vie professionnelle, d’autant plus savoureuse qu’elle était anticipée. L’évolution de son métier ne lui plaisait pas, mais tant qu’il travaillait pour un petit patron, il tenait le coup. L’idée de passer sous la coupe d’un groupe le dérangeait fortement. Il était donc doublement satisfait de partir. Sa seule contrariété était sa collègue. Elle était encore jeune, plus que lui du moins, et elle ne pouvait s’en sortir comme lui. De la laisser seule face aux Anglo-saxons qui ne parlaient que de profits, de retour sur investissement le chagrinait un peu. Quelque part, il avait la sensation de l’abandonner. Elle allait forcément beaucoup perdre en le perdant lui aussi. J’imaginais ce que ça devait être de travailler avec lui, dans une ambiance détendue, en relativisant les contraintes qui peuvent naître du monde du travail. Cela fait quelques années maintenant qu’Antoine est parti. Depuis la boîte a déménagé je ne sais où. Je l’imagine arpentant des contrées lointaines, discutant en espagnol de tout et de rien comme on le faisait ici. De tout, sauf de fichiers. Je l’imagine, chemise hawaïenne ouverte, à l’aventure goûtant sa liberté retrouvée loin de chez moi.
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Commentaires
G
J'en parlerai peut-être une autre fois, qui sait…<br /> Mais je suis sage, non ?
F
Et la collègue?<br /> C'est vrai que Gilles fait un peu sage pour toi!! ;-D
G
Je n'ai jamais pris le café avec lui, mais oui, c'était tout à fait le genre de situation où il devait être dans son élément !
A
J'arrive ici vite fait avant le café-clope de sociabilisation, ben tiens, s'il était dans le coin, j'inviterais bien Antoine pour partager ce moment où on parle de tout et de rien....
G
Merci Catherine pour la visite. Oui, Antoine faisait partie des gens qu'on croise avec plaisir. J'étais un peu triste de le voir partir, mais c'était pur égoïsme tant il était lui visiblement heureux. Et de le savoir ainsi interdit toute réaction égoïste !<br /> <br /> Noël, ça faisait une paye ! J'ai voulu changer de nom, mais ici c'est comme à l'état civil, c'est pas si simple, à moins de tout changer. Quant à dire que je n'y travaille jamais ici, c'est vrai mais ça ne l'a pas toujours été. Par contre, faire mon autoportrait n'est pas d'actualité !
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