C’était le genre de voisins plutôt discrets. Ils avaient bien dû faire quelques travaux en arrivant, mais rien d’insupportable, rien de particulièrement sonore en soirée. Ils occupaient le studio qui jouxte notre appartement, un studio que nous connaissions pour y avoir passé une soirée avec le Lyonnais avant son départ. Pour un studio, c’était plutôt un grand studio avec une vraie cuisine indépendante, une salle de bain assez grande et une petite entrée avec placard, mais ça restait un studio dans lequel ils vivaient avec leur enfant en bas âge. Trois dans une pièce, pour mener une vie équilibrée, il y a quand même mieux…
Pourtant, c’était plutôt calme. Le gamin pleurait, mais quel gamin ne pleure pas en bas âge ? On se croisait, bonjour, bonsoir, rien de plus. La femme était jeune, semblait imide, le regard triste ou inexpressif, c’était difficile à évaluer ; l’homme paraissait un peu plus âgé, pas plus expansif. Des voisins presque idéaux par leur discrétion.
Un soir, il n’était pas très tard, notre quiétude fut troublée par des cris, des coups assénés contre la porte. Des insultes fusaient, lancées par une voix de femme. Presque simultanément, mon voisin d’en face d’alors, Technocentre, et moi-même nous sommes retrouvés dans le couloir, prêts à porter secours à la femme en détresse. Et là, nous découvrîmes une jeune femme, une inconnue qui cherchait à défoncer la porte du voisin. Elle l’insultait, pleurait, tapait, proche de l’hystérie. En nous voyant, elle a commencé à nous prendre à témoin.
— Cet enculé, il me mène en bateau depuis des semaines !
— Calmez-vous…
— Il me baratine, il m’a fait croire qu’il était amoureux, je l’ai suivi et il est avec une autre, avec un enfant ! Putain, je l’aimais moi, je lui ai passé du fric, je suis trop conne !
Nous avons essayé de la calmer, de la raisonner un peu. Elle nous a expliqué qu’il l’avait draguée à la gare de Lyon, qu’elle avait trouvé bizarre qu’il ne soit pas disponible autant qu’il le voulait, qu’elle le souhaitait. Pendant ce temps, elle continuait de temps en temps à frapper sur la porte, à gueuler. La femme de l’Ordure de l’autre côté pleurait et demandait à celle qu’elle qualifiait de pute de partir. L’Ordure ne disait rien. On expliquait à la jeune femme que ce qu’elle faisait ne servait à rien, que visiblement ce mec n’en valait pas la peine. Elle semblait convaincue, mais avait besoin de se défouler. Après quelques flopés d’injures et de coups, elle est repartie, laissant le couple et l’enfant en larme dans le petit studio.
Rétrospectivement, je n’étais pas surpris de ce qui c’était passé. On les voyait peu ensemble, on ne le voyait jamais avec son fils. Bien sûr, on ne voyait pas tout, mais elle avait le profil de la femme soumise à son homme, qui s’occupe de ce qui est matériel à la maison et attend qu’il rentre, même s’il ne rentre pas. Son regard était définitivement triste, pas inexpressif…
Le couple n’a pas déménagé tout de suite. Ils n’étaient pas causants à la base, ils rasaient les murs après coup. Elle avait été humiliée devant nous, elle découvrait, ou ne pouvait plus faire semblant d’ignorer, qu’elle vivait avec quelqu’un qui la trompait. Chaque jour ou presque on la croisait et elle devait faire avec nos regards emplis de pitié. Inspirer la pitié est terrible. Elle ne cherchait pas à parler avec nous, mais que pouvait-elle dire ? Chercher à expliquer, à raconter après cet épisode aurait sans doute été pire. Et pour nous, que pouvions-nous dire ? On est avec vous qui restez avec cette Ordure ?
Ils ont déménagé. Ensemble. Ils se sont installés une rue plus loin, dans un appartement qui n’était, je crois, pas beaucoup plus grand. Je la croisais de temps en temps, seule avec son enfant. J’ai croisé son mec qui rentrait chez eux. Tous deux baissaient les yeux quand on se croisait. A elle, je lançais un petit sourire qu’elle captait peut-être du coin de l’œil. Un jour, je ne les ai plus croisés, une autre femme est-elle venue défoncer leur porte ? Je ne le sais pas.