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Ici, c'est chez moi

17 février 2008

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Règle du jeu : Mettre le lien de la personne qui vous a tagué. Mettre le règlement sur votre blog. Mentionner 6 choses/habitudes/tics important sur vous-même. Taguer 6 personnes à la fin de votre billet en mettant le lien de leur blog. Avertir immédiatement sur leurs blog les personnes taguées. http://lespenseesdemanu.hautetfort.com/ J'accumule des quantités incroyables de trucs (disques, BD, bouquins, jouets, objets divers en relation avec la BD, jeux…) qui font que je vais devoir déménager et quitter cet immeuble dont je parle ici Ca m'amuse toujours autant quand je marche sur un dallage de chercher à ne pas marcher sur les joints, à marcher sur une dalle sur deux ou autres conneries du même genre J'aime bien me moquer des faux jeunes qui partent se coucher quand je continue à passer des nuits en vadrouille J'ai changé de boulot à peu près tous les 3 ans, sans aucun plan de carrière, au fil de l'inspiration et malgré tout on peut réussir à trouver une certaine logique dans tout ça. A posteriori… Je suis pas nostalgique et je regrette rien, avant c'était magique, aujourd'hui c'est moins bien (bon, d'accord, c'est pas de moi, mais ça m'amuse) j'adore ne pas respecter les règles et comme j'aime pas trop imposer de contraintes aux autres, je vais transgresser la règle 4 de ce jeu (pas la 5 par contre…)
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11 décembre 2007

L'Ordure

C’était le genre de voisins plutôt discrets. Ils avaient bien dû faire quelques travaux en arrivant, mais rien d’insupportable, rien de particulièrement sonore en soirée. Ils occupaient le studio qui jouxte notre appartement, un studio que nous connaissions pour y avoir passé une soirée avec le Lyonnais avant son départ. Pour un studio, c’était plutôt un grand studio avec une vraie cuisine indépendante, une salle de bain assez grande et une petite entrée avec placard, mais ça restait un studio dans lequel ils vivaient avec leur enfant en bas âge. Trois dans une pièce, pour mener une vie équilibrée, il y a quand même mieux… Pourtant, c’était plutôt calme. Le gamin pleurait, mais quel gamin ne pleure pas en bas âge ? On se croisait, bonjour, bonsoir, rien de plus. La femme était jeune, semblait imide, le regard triste ou inexpressif, c’était difficile à évaluer ; l’homme paraissait un peu plus âgé, pas plus expansif. Des voisins presque idéaux par leur discrétion. Un soir, il n’était pas très tard, notre quiétude fut troublée par des cris, des coups assénés contre la porte. Des insultes fusaient, lancées par une voix de femme. Presque simultanément, mon voisin d’en face d’alors, Technocentre, et moi-même nous sommes retrouvés dans le couloir, prêts à porter secours à la femme en détresse. Et là, nous découvrîmes une jeune femme, une inconnue qui cherchait à défoncer la porte du voisin. Elle l’insultait, pleurait, tapait, proche de l’hystérie. En nous voyant, elle a commencé à nous prendre à témoin. — Cet enculé, il me mène en bateau depuis des semaines ! — Calmez-vous… — Il me baratine, il m’a fait croire qu’il était amoureux, je l’ai suivi et il est avec une autre, avec un enfant ! Putain, je l’aimais moi, je lui ai passé du fric, je suis trop conne ! Nous avons essayé de la calmer, de la raisonner un peu. Elle nous a expliqué qu’il l’avait draguée à la gare de Lyon, qu’elle avait trouvé bizarre qu’il ne soit pas disponible autant qu’il le voulait, qu’elle le souhaitait. Pendant ce temps, elle continuait de temps en temps à frapper sur la porte, à gueuler. La femme de l’Ordure de l’autre côté pleurait et demandait à celle qu’elle qualifiait de pute de partir. L’Ordure ne disait rien. On expliquait à la jeune femme que ce qu’elle faisait ne servait à rien, que visiblement ce mec n’en valait pas la peine. Elle semblait convaincue, mais avait besoin de se défouler. Après quelques flopés d’injures et de coups, elle est repartie, laissant le couple et l’enfant en larme dans le petit studio. Rétrospectivement, je n’étais pas surpris de ce qui c’était passé. On les voyait peu ensemble, on ne le voyait jamais avec son fils. Bien sûr, on ne voyait pas tout, mais elle avait le profil de la femme soumise à son homme, qui s’occupe de ce qui est matériel à la maison et attend qu’il rentre, même s’il ne rentre pas. Son regard était définitivement triste, pas inexpressif… Le couple n’a pas déménagé tout de suite. Ils n’étaient pas causants à la base, ils rasaient les murs après coup. Elle avait été humiliée devant nous, elle découvrait, ou ne pouvait plus faire semblant d’ignorer, qu’elle vivait avec quelqu’un qui la trompait. Chaque jour ou presque on la croisait et elle devait faire avec nos regards emplis de pitié. Inspirer la pitié est terrible. Elle ne cherchait pas à parler avec nous, mais que pouvait-elle dire ? Chercher à expliquer, à raconter après cet épisode aurait sans doute été pire. Et pour nous, que pouvions-nous dire ? On est avec vous qui restez avec cette Ordure ? Ils ont déménagé. Ensemble. Ils se sont installés une rue plus loin, dans un appartement qui n’était, je crois, pas beaucoup plus grand. Je la croisais de temps en temps, seule avec son enfant. J’ai croisé son mec qui rentrait chez eux. Tous deux baissaient les yeux quand on se croisait. A elle, je lançais un petit sourire qu’elle captait peut-être du coin de l’œil. Un jour, je ne les ai plus croisés, une autre femme est-elle venue défoncer leur porte ? Je ne le sais pas.
5 décembre 2007

Le Fantôme

Je n’ai pas vu tout de suite qu’il était là. Ce qui aurait pu être une marque de sérieux professionnel. Je ne sais pas au bout de combien de temps je me suis rendu compte de sa présence, mais c’était en revenant du marché, en passant devant le parking, mon regard avait été attiré par cette plaque à l’emplacement de son véhicule : « détective privé. » J’avais un détective privé dans mon immeuble et je ne le savais pas. Aucune plaque sur le devant de l’immeuble, juste cette simple plaque sur le parking. Un Philip Marlowe, ou un Jack Palmer, mais un privé, dans mon immeuble, je trouvais que ça avait de la gueule ! Un privé dans l’immeuble, et c’était un peu comme si je vivais au cœur d’un classique de la Série Noire, comme si j’allais croiser un jour Bogart en sortant de l’ascenseur. J’imaginais à un étage non identifié un type — je ne pouvais vraiment pas imaginer une femme, les clichés ont la vie longue — attendant à son bureau, séparé de la salle d’attente par une porte en partie vitré, en buvant du scotch ; j’imaginais la femme fatale qui allait rentrer et les coups de feu qui retentiraient dans le bâtiment. Pourtant, il n’y avait aucun signe de la présence de ce privé en dehors de cette plaque sur le parking. Sans avoir vérifié à chaque porte, aucune plaque d’activité parmi les nombreuses dédiées aux médecins ne renseignait sur son existence, pas de plaque discrète à la porte d’un appartement. Rien qu’une plaque sur un parking. Je pouvais comprendre que l’individu recherche une certaine discrétion, il vaut mieux parfois ne pas se faire remarquer dans ce job, mais à ce point, c’était troublant. Pourquoi ne le signaler qu’à cet endroit ? Je ne vais pas dire que je me suis mis à surveiller cette place de parking pour voir à qui appartenait cette plaque, mais quand je passais devant, quand j’étais sur mon balcon, je ne manquais pas de regarder. Quand je croisais quelqu’un dans l’immeuble, je me demandais si ce n’était pas mon privé. La voiture changeait, n’était jamais la même, mais personne ne semblait se plaindre qu’on lui occupait SA place. A quoi bon mettre une plaque pour signaler que la place est réservée si c’est pour que n’importe qui s’y stationne ? Ce n’était pas une obsession non plus, mais j’avais envie de savoir. Je guettais quand la Gardienne changeait les affichages dans le hall à l’occasion de l’arrivée ou du départ d’un professionnel. Mais il n’y avait rien qui venait. Je prenais en quelque sorte la fonction de celui que je voulais découvrir, à une échelle microscopique, mon champ d’investigation ne débordant pas de mon immeuble, mes enquêtes ne me conduisant à interroger personne d’autre que moi-même. Quand le ravalement de façade a été réalisé, je me suis dit que cette plaque sur le parking allait disparaître, qu’à l’évidence il n’y avait pas plus de détective sous mon toit que d’humanité dans le regard de Poutine. Mais un matin, alors que les ouvriers repliaient leurs échafaudages, je constatai que la plaque était revenue. Et le ballet des voitures toutes différentes a repris. Le privé était toujours là… Depuis, la plaque a disparu, le privé qui n’a jamais été là a disparu. Pas d’autre changement que cette disparition pour se dire que le détective est parti. On aurait pu laisser cette plaque par habitude, pas de privé, mais une plaque qui traîne en témoignage d’un temps où il y en eu un. Mais de l’ôter, n’est-ce pas le signe qu’il était bien présent ? Invisible, mais présent…
29 novembre 2007

La Vieille du Quatrième

La Vieille du Quatrième fait partie des personnes autour desquelles l’immeuble semble avoir été construit. Depuis que nous sommes là, elle ne paraît pas avoir changé, pas pris une ride, elle les avait déjà, pas blanchi, elle l’était déjà, pas changé de tenue… On se croise dans l’ascenseur, elle va rendre visite à ses copines qui disparaissent petit à petit, dans le hall quand elle revient d’avoir fait ses courses, dans la rue parfois, de retour du marché — où elle se rend bien avant nous. Elle ne change pas, mais j’ai quand même l’impression de moins la croiser dans les rues et de plus en plus dans le hall et l’ascenseur… On discute souvent quand on se croise. Physiquement, elle est très sèche, mais elle l’est beaucoup moins quand elle s’exprime, même si parfois ses propos retrouvent un peu de la raideur de sa silhouette. Elle arrive généralement tout sourire pour commencer à parler du temps qu’il fait ou des enfants qui grandissent. Et puis, elle va évoquer l’immeuble qui se dégrade, la Gardienne qui ne fait pas son travail, le Gardien Picard qui est trop absent, telle voisine qui fait du bruit, tel voisin qui ne lui répond jamais… Avec ses copines, elle n’est pas toujours plus aimable quand elle parle d’elle. Une fois, dans l’ascenseur, il y avait Dents Tranchantes, qui est il est vrai particulièrement pénible. Elle discutait avec elle et quand cette dernière est sortie, elle m’a dit : — Elle est vraiment chiante à toujours se plaindre, je n’arrive plus à la supporter ! Elle venait de discuter comme si de rien, l’avait quittée avec un sourire et à peine Dents Tranchantes avait-elle tourné le dos qu’elle déblatérait sur son cas. C’était assez désagréable, mais au fond je pensais comme elle et restais un peu à discuter, le doigt sur le bouton permettant de maintenir ouverte la porte de l’ascenseur. C’est un classique avec la Vieille du Quatrième, je parle souvent dans l’ascenseur et lorsque l’on arrive à son étage, on poursuit notre échange, elle sur le pallier, moi dans l’ascenseur en le bloquant. En fait, j’aime bien parler avec elle, même si parfois elle est un peu méchante, même si parfois je me demande ce qu’elle peut raconter derrière mon dos. Elle a tendance à être tout miel devant et à râler par derrière, je ne vois pas pourquoi je serais épargné par ses humeurs. Je crois que j’aime bien parler avec elle parce que malgré tout ça, elle clôt souvent l’échange en laissant entendre que tout ça a peu d’importance, que c’est juste histoire de dire quelque chose et que râler fait partie de ce qu’on aime bien faire. Une Vieille qui ne râlerait pas, serait-ce vraiment une vieille après tout ? L’autre jour, je prenais l’ascenseur pour descendre au rez-de-chaussée. Lorsque la porte s’est ouverte, la Vieille du Quatrième était là. C’était inhabituel puisque j’habite plus haut, généralement on voyage ensemble à la montée, pas à la descente. Comme à chaque fois que nos repères sont perturbés, j’ai regardé pour vérifier que j’étais bien au bon étage, alors que je sortais de chez moi. Devant mon air surpris, elle m’a expliqué qu’elle revenait de chez la Vieille du Huitième. Presque en s’excusant, elle m’a fait comprendre qu’elle n’y allait pas forcément parce que ça lui plaisait tant que ça. Et en partant, sur le pallier, elle m’a lancé : — Vous savez, ce n’est pas drôle de vieillir toute seule… Je n’ai pas vraiment su quoi répondre, mais j’ai su que je continuerais à bloquer l’ascenseur pour parler avec elle, tant qu’elle prendra cet ascenseur, même si parfois elle est un peu langue de vipère, même si elle parle derrière mon dos.
26 novembre 2007

L'Eternel Revenu

Je ne me souviens pas exactement de quand il est arrivé dans l’immeuble. Pour la première fois. Sa silhouette est en tout cas vite devenue familière, avec sa couronne de cheveux délimitant un crâne passablement dégarni, sa barbe, son dos voûté et sa petite taille, il avait tout d’un nain de blanche-neige, du huitième nain. Il habitait au rez-de-chaussée, un de ces tout petits studios qui jouxtent l’ascenseur. Je n’avais pas prêté particulièrement attention à lui au début, ses yeux rieurs me plaisaient bien, mais nos échanges s’arrêtaient à des bonjour-bonsoir auxquels il ne répondait pas nécessairement. Et puis, j’ai commencé à le voir dans un café du quartier. Il faisait beau, il était en terrasse, rien d’exceptionnel. Plus tard, je le vis dans un des autres cafés du quartier, toujours en terrasse. Très vite, je me suis rendu compte que cette fréquentation n’avait rien d’inhabituel et qu’il changeait de troquet en fonction du moment de la journée : le matin orienté vers le levant, l’après midi vers le ponant. Un vrai tournesol en quelque sorte. J’ai fait un peu plus attention à lui, remarquant que ses sacs de courses contenaient plus de liquides que de solides. Il ne paraissait pas trop tituber pourtant, mais il est vrai que je ne le surveillais pas non plus. Il gardait généralement son sourire et ses yeux rieurs, peut-être que je les trouvais juste un peu plus vitreux qu’avant. Un jour, ce fut un mini scandale dans l’immeuble : un satyre se baladait à poil dans les étages. Ce genre de nouvelles circule avec une rapidité incroyable et j’ai l’impression que j’en avais entendu l’écho avant même de sortir de chez moi. Personne n’avait été physiquement agressé, mais tout l’immeuble était en émoi. Au départ, je pensais qu’il s’agissait de quelqu’un d’extérieur. En fait, il s’agissait bien de ce huitième nain qui plus que de Grimm semblait sorti de chez Gotlib. Ce dernier vivait seul, mais devait prendre un traitement. Il avait cessé de le suivre et avait disjoncté en perdant tout contrôle de lui-même. A priori il n’était pas dangereux pour les autres, mais il n’est pas forcément agréable de rentrer chez soi avec ses enfants et de tomber sur un nain ,fut-il de Blanche-Neige, nu. Ce doit être à ce moment-là qu’il fut éloigné pour la première fois. Je n’y avais pas pris garde à l’époque, mais il avait été évacué vers un hôpital pour être pris en charge. Je ne m’en étais pas rendu compte car il était revenu dans son petit studio, reprenant ses habitudes, sans toutefois poursuivre ses exhibitions. Je ne le voyais pas souvent, mais je savais qu’il était là en voyant le Gardien vider une bombe de déodorant dans le hall en insistant sur sa porte. Amusé, j’avais demandé ce qu’il faisait. Lui ne riait pas vraiment et semblait énervé. Moi je ne faisais que passer par le hall, une petite discussion, l’attente de l’ascenseur, rien qui m’y maintenait longtemps ; lui, sa porte s’ouvrait sur ce hall et il était envahi par les effluves nauséabonds. C’était vrai, ça renardait sévère. Le Gardien enrageait qu’on ait laissé sortir ce voisin de palier odorant. Un matin, l’immeuble était à nouveau en émoi. Ce coup-ci, notre homme avait foutu le feu chez lui, après avoir fait tomber sa cigarette sur son matelas. Le feu n’avait pas été bien méchant, rapidement maîtrisé, et le pyromane avait été évacué à nouveau vers l’hôpital. Le gardien se voyait débarrassé, avait demandé que les serrures soient changées pour éviter qu’il revienne. Il pestait après ce type qui bénéficiait d’une aide sociale importante, supérieure à ce qu’il touchait lui qui travaillait réellement beaucoup dans l’immeuble. Il me détaillait les alcools ingurgités en me précisant que ce n’était pas avec du bas de gamme que l’animal se saoulait à longueur de temps. Puis il est revenu à nouveau. Le store de sa pièce donnant sur le parking était de nouveau relevé et quand je descendais sur le parking faire faire du vélo à mes enfants, je le voyais à sa fenêtre, fumer et boire , puis repartir à l’intérieur, s’asseoir à sa table pour boire à nouveau, avant de revenir se mettre à la fenêtre pour boire encore. Tout en gardant ses yeux rieurs, il buvait et ne paraissait rien voir de ce qui se passait devant lui. Mes bonjours restaient sans réponse, les passages des enfants devant sa fenêtre ne le conduisaient pas à les suivre des yeux. Il ne voyait rien d’autre que son verre. Un matin, en sortant de l’ascenseur, les pompiers étaient là, avec une voisine et le gardien. Sa porte était ouverte, il était allongé sur son lit, cigarette à la main. Le sol toujours jonché de cadavres et d’excréments. Il avait encore mis le feu en oubliant sa plaque électrique qui chauffait. Il ne se rendait compte de rien et allait être évacué une nouvelle fois vers l’hôpital. À ce jour, il n’est pas encore revenu, mais je ne serais pas surpris de le revoir à nouveau traîner à sa fenêtre à boire et fumer. Quand il était allongé, je voyais ses yeux rire. Il était dans un autre monde, un monde qui ne paraissait pas si désagréable. Sa vie vue par nous semble glauque, mais de son point de vue, comment est-elle ? Et comment est la nôtre ?
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23 novembre 2007

La Gardienne

La Gardienne n’était pas spécialement sexy. Elle semblait s’évertuer à ressembler à une caricature de gardienne d’immeuble avec sa blouse en nylon à fleurs, ses claquettes aux pieds, quand ce n’était pas des mules chaussons, ses cheveux mal coiffés et ses grosses lunettes en écaille. Elle était parfois secondée par son mari qui l’aidait pour tout ce qui était physique, de la sortie des poubelles aux visites nocturnes aux vieilles qui avaient entendu du bruit. Ils vivaient dans le petit deux pièces en rez-de-chaussée avec leur fille et elle faisait plutôt correctement son travail, même si les vieilles de l’immeuble s’en plaignaient régulièrement, par-derrière bien évidemment. La Gardienne avait été autrefois une simple résidente de l’immeuble, avant que nous y emménagions. Elle avait fait quelques fois l’intérim du gardien en titre, puis, avec son mari, ils avaient acheté un pavillon à quelques kilomètres de là. Le pavillon, sans doute l’accomplissement d’un rêve. Le syndic cherchait un nouveau gardien, avait du mal à en trouver un, il s’était tourné vers cette femme qui était sans emploi. Ils étaient venus vivre dans un petit deux-pièces pour n’occuper le pavillon que le week-end. Ils sont nombreux les travailleurs qui ne vivent pas chez eux la semaine, mais plus rares lorsque leur chez eux n’est qu’à une dizaine de minutes en voiture. La Gardienne paraissait dans son élément à discuter du temps qu’il fait, des problèmes du quartier, des enfants qui grandissent. Elle rendait de menus services, gardait les colis. Elle avait même gardé notre fille un soir parce que sa fille nous avait fait faux bond au dernier moment. Les discussions ne menaient pas forcément très loin, mais on n’attend pas forcément de refaire le monde à chaque fois qu’on parle avec quelqu’un. Ces banalités avaient quelque chose de rituellement rassurant. Une fois, je passais devant sa fenêtre et, rompant avec toutes les habitudes, la gardienne et son mari m’avaient apostrophé. J’étais surpris, c’était la première fois qu’ils m’abordaient ainsi. — On vous a vu hier à la télé ! » Bien sûr, j’étais passé la veille sur TF1 pour rendre service à un collègue et jouer à l’expert dans une émission palpitante, Plein les yeux. Je n’avais pas eu droit à une remarque quand l’équipe de tournage était venue à la maison, par contre, le passage télé, sur TF1 était immanquable. J’avais souri et avant que je puisse vraiment répondre, la question suivante arrivait : — Mais, vous travaillez à la télé ? » Je changeais de statut à leurs yeux. J’ai été obligé d’expliquer que le titre, usurpé, de chercheur au CNRS qui était écrit sous mon nom ne correspondait pas à un emploi de chez TF1, mais je n’ai pas été persuadé que la nuance soit bien passée… La vie aurait pu continuer ainsi tranquillement, la fille de la Gardienne serait devenue adulte laissant ses parents dans le deux-pièces la semaine, le pavillon le week-end, la Gardienne aurait perdu de sa stature en se voûtant sous le poids de ses tâches ménagères. Mais un jour, le mari de la gardienne s’est fait plus rare. Cela faisait déjà un moment qu’il paraissait moins souriant, mais comme je ne passais plus à la télé, nos sujets de conversations avaient diminué. On le voyait surtout le samedi pour sortir les poubelles, les plus nombreuses et les plus lourdes, celles du tri sélectif, verre ou papier selon les semaines, emballages à chaque fois. Bien sûr, qui serait resté avec une femme si peu sexy alors qu’il travaillait chez EDF et devait avoir l’occasion de croiser des femmes esseulées en journée, scénario récurrent de porno cheap… Sauf que, c’est la Gardienne qui avait un amant… D’où le sortait-elle en étant scotchée dans son deux-pièces la semaine, avec son mari dans le pavillon le week-end ? Qui avait-elle séduit en trimant sous sa blouse ? Toujours était-il que la séparation était inévitable et qu’elle ne fut pas évitée. La Gardienne en attendant se métamorphosait, elle faisait plus attention à sa tenue, mettait moins souvent sa blouse, se coiffait, avait changé de lunettes… Plein de signes dont certains, rétrospectivement, auraient pu être relevés avant. Elle n’était plus bignole, elle devenait femme : elle était amoureuse, ça se voyait. Dès lors, elle ne pouvait rester longtemps la gardienne. Le syndic voulait bien d’une femme, mais à condition qu’elle soit en couple pour assumer les travaux les plus physiques. Et si le mari acceptait de vivre dans le deux-pièces et renonçait à la jouissance du pavillon, l’amant ne semblait pas avoir envie de se glisser totalement à sa place. La Gardienne est partie refaire sa vie, à moins que ce ne soit pour la commencer, sur la Côte d’Azur, débarrassée de sa blouse sans doute, mais ça, c’est une autre histoire…
20 novembre 2007

Le Junkie

Le Junkie était déjà mort quand on est arrivés dans l’immeuble. Il avait été découvert par l’Infirmier l’été précédant notre emménagement, à notre étage, victime d’une OD. C’était une des premières choses que l’Infirmier nous avait dites lorsque nous étions arrivés. L’immeuble était, est toujours d’ailleurs, le dernier du quartier à ne pas avoir de digicode en permanence, à cause des médecins qui œuvrent sur place. Le quartier étant passant, animé, il arrive que des types qui viennent squatter les escaliers. Le Junkie est mort et aurait pu rester un simple souvenir, une histoire que les plus anciens du bâtiment se transmettent en attendant que sa mémoire s’estompe à jamais. Qui se soucie d’un junkie qui claque seul sur les marches d’un escalier quand le pays a largement migré vers les plages et autres lieux de villégiature ? Une vieille femme, sa grand-mère s’en souciait. Chaque année, discrètement, elle venait fleurir le palier, en souvenir de celui dont personne ne connaît le nom, comme certains viennent déposer des bouquets devant un arbre sur une route meurtrière. Elle sauvait ce jeune homme de l’oubli général. Depuis deux ans, la grand-mère n’est plus revenue. Le Junkie va définitivement disparaître de l’immeuble.
18 novembre 2007

Antoine

Antoine ne s’appelait pas vraiment Antoine. Ou peut-être que si après tout puisque je n’ai jamais connu son nom. Toujours est-il que ce prénom lui va bien, en référence au chanteur. Antoine n’habitait même pas dans mon immeuble, il y travaillait seulement. Il y a des entreprises, des services, de nombreux médecins dans mon immeuble, pas que des résidents. Avec Antoine, on se croisait surtout dans le parking en sous-sol. Il avait de ces yeux rieurs, toujours pétillants, et savait prendre le temps de discuter un peu dans le hall, devant les ascenseurs, devant la voiture. Au début, nous ne nous échangions que des bonjours de convenance, mais très vite ces petits signes de convivialité devinrent plus chaleureux, moins formels. Il faut dire, que c’était quelqu’un de très peu formel et que cette évolution fut très naturelle. Il garait sa vieille Peugeot blanche et, arrivant généralement en retard, il filait vers l’ascenseur, sans pour autant renoncer à prendre le temps pour parler un peu, pour plaisanter avec la gardienne. J’aimais bien quand ma journée démarrait en croisant sa moustache. Il travaillait dans une société qui tenait des fichiers, des fichiers en tout genre qui étaient revendus à des sociétés qui exploitaient ces fichiers. Ce n’était pas son travail qui le motivait réellement. Il ne s’en désintéressait pas, mais sa vie n’était pas là et c’est sans doute ce que j’appréciais chez lui, ce sentiment de croiser quelqu’un qui aimait profiter des plaisirs qu’offre la vie. C’est donc sans regret qu’il a vu sa boîte, entreprise familiale au départ, rachetée par un groupe d’investisseurs anglo-saxons. Il a pu en profiter pour se faire licencier. Un licenciement n’est pas toujours perçu de façon positive, mais pour Antoine, c’était négocié. Il allait pouvoir se consacrer à ce qui l’intéressait vraiment. Il pouvait attendre sa retraite officielle avec ses indemnités de licenciement et partir voyager. Voyager, en Amérique latine, c’était là sa vraie vie, pas dans les fichiers qu’il créait pour qu’on reçoive dans nos boîtes des publicités ciblées ou pour tout autre usage. C’était avec gourmandise qu’il m’avait annoncé la fin de sa vie professionnelle, d’autant plus savoureuse qu’elle était anticipée. L’évolution de son métier ne lui plaisait pas, mais tant qu’il travaillait pour un petit patron, il tenait le coup. L’idée de passer sous la coupe d’un groupe le dérangeait fortement. Il était donc doublement satisfait de partir. Sa seule contrariété était sa collègue. Elle était encore jeune, plus que lui du moins, et elle ne pouvait s’en sortir comme lui. De la laisser seule face aux Anglo-saxons qui ne parlaient que de profits, de retour sur investissement le chagrinait un peu. Quelque part, il avait la sensation de l’abandonner. Elle allait forcément beaucoup perdre en le perdant lui aussi. J’imaginais ce que ça devait être de travailler avec lui, dans une ambiance détendue, en relativisant les contraintes qui peuvent naître du monde du travail. Cela fait quelques années maintenant qu’Antoine est parti. Depuis la boîte a déménagé je ne sais où. Je l’imagine arpentant des contrées lointaines, discutant en espagnol de tout et de rien comme on le faisait ici. De tout, sauf de fichiers. Je l’imagine, chemise hawaïenne ouverte, à l’aventure goûtant sa liberté retrouvée loin de chez moi.
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